Entre chaque rendez-vous, je m'offre quelques minutes de pause. Une courte balade sur les Remparts, un coup de fil ou bien je reprends mon souffle en m'asseyant sur un banc. Parfois, à l'heure du goûter, peu avant ma dernière séance, je file à la boulangerie du coin. Deux minutes à pieds de mon cabinet. Et je m'offre un pain aux raisins. J'ai une passion pour les pains aux raisins.
Sur le très court trajet, j'ai mes petites habitudes, toujours les mêmes rituels, compter mes piécettes dans la poche, dire bonjour au chat errant, vérifier l'heure... Et puis j'arrive à la boutique. Quelques clients me précèdent, je recompte mes pièces jaunes, j'écoute les conversations, ajoute une blagounette si l'occasion se présente. Lorsque mon tour arrive, les dames de la boulangerie, souriantes, me demandent "comment je vais aujourd'hui" et tout en m'écoutant, elles emballent le pain aux raisins que je n'ai pas encore commandé. Cela parait anodin mais voilà une expérience fabuleuse. Se sentir reconnu, considéré et accueilli dans les circonstances les plus simples du quotidien. Cela donne à cet instant une saveur incomparable que je retrouve dans ces pains aux raisins. De fait, la jubilation est réelle et le cœur gonflé de joie, je chantonne souvent sur le chemin du retour, je sifflote. Heureux comme un prince de déguster tranquillement mon goûter, j'attends sereinement mon prochain rendez-vous. Chères Mesdames de la boulangerie, on ne se connait pas, mais soyez certaines que votre sourire et vos attentions contribuent à l'énergie et au plaisir que je déploie au quotidien. Alors quand je picore les grains de sucre collés à la surface du pain, je me souviens à quel point nous sommes tous dépendants les uns des autres et qu'un sourire reçu ne peut être que partagé. Merci à vous.
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"A m'asseoir cinq minutes, sur un banc avec toi. Et regarder les gens Tant qu'y en a !". Un brin nostalgique cette chanson de Renaud. Pourtant, elle révèle un de mes passe temps favoris : M'asseoir sur un banc et regarder les passants ou scruter l'horizon boisé des collines tout autour.
Une respiration, toujours au même endroit. La quête d'une atmospohère calme que je retrouve dès que mes fesses se posent à la même place. Je deviens contemplatif, je regarde les passants, les animaux de compagnie, les enfants, les mamans, les amoureux, les travailleurs, cadres cravatés, joggers. Des personnes s'énervent devant un horodateur zélé, d'autres adoptant un calme que je leur envie. Des gens de passage, des touristes, des citadins, des ruraux, des locaux, des manifestants. Sur ce banc, en quelques minutes, je me plonge dans la comédie humaine. Je la connais bien, j'en suis moi-même acteur. Dans nos différences, nous sommes tous un peu les mêmes. A tour de rôle. Dans des périodes très calmes, les passants sont plus rares, ou trop pressés. Mon regard se porte alors sur une perspective plus lointaine, la ligne d'horizon. Je me perds dans l'appréciation des couleurs de tuiles ou d'ardoises, des jardins entretenus ou sauvages, des immeubles dont les étages dominent le relief avoisinnant, des antennes au loin. Perdu dans quelque réflexion, un peu rêveur, je pense avec douceur à tous ceux qui ont franchi la porte du cabinet. Ils sont forcément passés devant mon banc. Là, juste là.... Peut-être s'y sont ils assis, comme moi ? Et quand je songe à nos échanges, je me rappelle à quel point dans nos différences, nous sommes tous un peu les mêmes. A tour de rôle. Que d'eau, que d'eau ! Connaissez vous la poussée d'Archimède ? Concept simple, à la fois scientifique et philosophique : "tout corps plongé dans un liquide subit une poussée verticale, de bas en haut, égale au poids du volume de liquide déplacé" - Quand je plonge un caillou dans un verre rempli d'eau, l'eau déborde.
Imaginons un instant que nous soyons ce liquide, du moins le verre et l'eau qu'il contient, ce qui n'est pas si faux d'un point de vue purement biologique. Maintenant, retirons le caillou coincé dans la chaussure et plaçons-le à l'intérieur de nous-même, comme s'il s'agissait d'une contrariété que l'on absorbe, que l'on "ravale". Et puis chaque jour, un nouveau caillou que l'on contient à nouveau, que l'on absorbe, avale... Bien sûr la charge est plus lourde chaque matin, la fatique s'installe, chaque petit bout de gravier devient une montagne et le risque de tomber sur un plus gros caillou augmente. Et puis un jour, arrivé si rapidement, le niveau de l'eau est à fleur de peau. A raz du coeur... et l'on se créé une fontaine à cailloux par la pensée, la rumination et tout cela se déverse continuellement dans le verre d'eau que nous sommes. Que nous dit Archimède ? Une loi très simple : que tout ce que l'on encaisse prend de la place, et que nous le décaisserons, tôt ou tard, d'une manière ou d'une autre. Alors parfois, il convient de se souvenir de ce génial principe et mettre en place tous les mécanismes qui permettent de limiter le nombre de cailloux sur notre parcours, en les laissant le plus souvent possible par terre, ni dans notre chaussure, ni en nous-même. Tôt le matin, passe chaque jour devant mon cabinet, une jeune femme et son enfant. Sur le chemin de l'école, ils marchent, courent parfois. L'heure est si matinale que je suppose que ce petit garçon rejoint la garderie en attendant le début des cours.
Je l'entends poser des questions, je le vois de temps en temps, silencieux, mangeant rapidement un pain au lait - en retard sans doute. En ce moment, la nuit du petit matin les enveloppe, et lui emmitouflé dans sa trop grande écharpe écoute sa mère ou regarde l'horizon, le soleil naissant. Ils sont beaux tous les deux et parfois je me presse d'ouvrir mes volets avant leur passage pour ne pas les rater. C'est mon petit rituel. Je tends l'oreille, je les écoute et en les regardant, je me dis que j'aurais bien aimé moi aussi, vivre des moments comme cela. Comme vous peut-être, je me suis contenté d'un rien avec mes parents. Et pour être honnête, en tant que père, je n'ai pas toujours su favoriser ces instants avec mes enfants. Je le regrette aujourd'hui. Tous ces petits regrets avaient un peu durci mon cœur. Alors en observant cette maman et son garçon, j'assiste à un élan de tendresse sublime de simplicité. Et cette femme, par son affectueux regard, portant toute son attention à son enfant, comme vous sans doute, adoucit sans le savoir tous les cœurs endurcis par l'existence, le mien en l'occurrence. Il me semble évident que chaque acte de tendresse, de douceur ou d'amour dépasse les horizons de ceux qui en bénéficient ! Ces deux arbres appellent à la méditation. Unis pour la vie, liés à jamais, collés l'un à l'autre et pourtant si distincts.
L'on devine les tempêtes, les désunions, séparations, toutes ces crises qui écartent et déchirent et puis, les retrouvailles, la réconciliation, l'apaisement, la danse souple et vertigineuse s'élevant vers le ciel, comme une évidence, une danse dans la vie. Des années où l'on se croise, d'autres aux chemins opposés. Dans l'harmonie de ces deux arbres, vibre la dissonance, le chaos et j'aime à me souvenir à quel point, souvent, du tumulte émerge la mélodie. L'union contient le tout, y compris la désunion. Alors parfois, dans le fracas de nos jours, il peut être doux de se souvenir de ces deux êtres enlacés, contenant la sève, embrassant la vie dans toutes ses dimensions, pareils à des brins d'ADN, la spirale chaotique qui chante nos vies. Personnellement, j'aime les bourrasques, les coups de vent, la pluie. A chaque fois qu'il pleut, je me sens empli de gratitude et de confort sous la capuche de mon imperméable, ou bien à l'abri, derrière les vitres ruisselant de gouttes.
Le confort de mon toit, de mes vêtements me rappellent sans cesse à quel point je suis chanceux, je découvre alors les trésors de la gratitude, celle que parfois j'oublie dans l'expression de ma plainte. Heureux, les pieds au sec, heureux épargné par le froid, heureux par le confort de mon logis, heureux par le son de la pluie, le mouvement de mes essuie-glaces... Heureux quand il pleut parce qu'une averse me renvoie sans cesse à l'autre réalité, celle du privilège de pouvoir m'en protéger. "Comme un lundi..."
Ne trouvez-vous pas que cette phrase pèse une tonne et englue tous ceux qui l'entendent...? Jetée à la volée dans un soupir de fatalité, les épaules baissées, la tête penchée et les paupières fermées, elle rappelle à quel point l'existence de celui qui la prononce est ennuyeuse, durablement ennuyeuse, puisque chaque lundi... il la répète. Elle annonce la couleur, celle des jours qui suivent, mornes, eux aussi. Bigre. Un "comme un lundi" appartient à la famille des "faut bien que ça aille" ou "vivement la retraite", on ne sait que répondre. Peut-être un vague sourire évasif qui n'engage que celui qui l'interprète. Ces phrases rompent toute tentative de conversation ou d'échange, comme un point final, une rupture de lien. Un couperet sans appel. Moi aussi, il m'est arrivé d'être en peine en reprenant le chemin du travail un lundi matin, disons le simplement, j'aurais préféré rester en week-end, parce qu'il faisait beau, parce que j'étais entouré de gens que j'apprécie, parce que je prenais mon temps. Bref, parce que c'était différent. Différent de quoi ? Du lundi justement. Si le lundi n'existait pas, le samedi ou le dimanche seraient des jours habituels, classiques, sans contraste. Par conséquent, la beauté de mon week-end n'existe qu'en opposition aux autres jours. Sans mon affreux lundi, point de merveilleux dimanche. Peut-être alors développer une tendresse pour le lundi matin, car il me rappelle à quel point mon existence était lumineuse hier et avant hier, et à quel point elle le sera tout autant le week-end prochain... Et entre deux perspectives lumineuses, est-ce bien raisonnable de me répéter chaque semaine que ma vie est à ce point ennuyeuse ? Alors je vous souhaite d'aller comme un lundi ! Remplis de gratitude pour ce jour qui nous rappelle à quel point les choses vont plutôt bien ! 🌞🔥 Ce matin, un manteau de brouillard couvre la ville. Les détails s'estompent, les sons disparaissent, et la couleur s'envole. Dans la brume règne l'incertitude, du moins la surprise. Tout apparaît au dernier instant, une silhouette, vague, se précise sur le trottoir, une lumière rouge annonce le feu arrière d'un bus.
Comment me repérer dans l'invisible ? Comment prévoir ? Moi qui aime tant maîtriser, j'affûte mes sens, renonce aux automatismes et avance, plus conscient que jamais de ce qui m'entoure, là, à portée de corps. Forcément, chaque pas précède l'autre, aucun autre projet dans l'épaisseur matinale, que de me concentrer sur mon pas. Le brouillard me ramène au sol, ici et maintenant. Plus tard, nous verrons bien. Parfois, la brume est intérieure, une densité de pensées, une saturation de ressentis, d'émotions. Du "trop", partout du "trop". Et puis "pas assez" de temps, "pas assez" de disponibilité, "pas assez" de tout... Le bordel, quoi. Écartelé entre un monde "trop" et "pas assez", mon monde il faut bien le reconnaître, peut-être alors me souvenir de ce matin cotonneux, lorsque le brouillard, cadeau de la nature, me rappelle à quel point il est essentiel de regarder tout autour de moi, de me concentrer sur mon pas, là, dans l'instant et que plus tard, sera toujours plus tard, nous verrons bien. N'avez-vous jamais entendu ces personnes proposant de vous accompagner à offrir au monde la meilleure version de vous-même ? Cette expression me laisse dubitatif, songeur même. En effet, si je ne suis pas dans la meilleure version de moi-même, où suis-je ? Dans la pire ? Au milieu ? Suis-je même dans une version de moi-même ? Et si oui, laquelle exactement ? Celle que l'on attend de moi ? Celle que je suppose répondre aux attentes du monde ?
Derrière cette notion de "meilleure", se cache l'idée d'une performance, du "plus que", une forme d'exigence mortifère qui pousse à l'insatisfaction permanente de ce qui est, de ce que je suis. A courir après le "plus", je nie ou fuis ce que je suis ou ce que je crois être. J'évolue alors dans une négation de moi-même, courant vers un autre moi dont le meilleur, aux contours flous, me pousse forcément à toujours plus... Mais où commence le meilleur ? Toujours plus tard et jamais maintenant, jamais présent... Alors s'il fallait offrir au monde quelque chose, je crois que qu'il se contenterait d'un présent justement, le vôtre. Ici et maintenant. Une constellation de feuilles brunies s'allonge sur le trottoir. On dirait un tapis soyeux, comme une jolie brume posée délicatement sur le sol. L'automne annonce le temps du souffle. Celui du vent qui déshabille les arbres, et aussi le nôtre après les chaleurs estivales.
La maturité de l'or s'épanouit dans les arbres, un baroud doré et rougeoyant, comme une révérence au temps qui passe, un regard en arrière, il est temps de se poser. L'automne appelle au calme, à la préparation sereine de l'hiver, à la mémoire des souvenirs des beaux jours. Dans les feuilles jaunies se cache la sagesse profonde, autant de petits lingots brillants révélant le trésor infini du présent. Oui, l'automne chante l'hymne du présent, le rappel salutaire d'un instant suspendu entre ce qui était et ne sera plus. Hâtons nous de goûter la légèreté d'une feuille dorée, virevoltant jusqu'au dernier souffle. |
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Juillet 2024
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